Chers amis lecteurs,
Je me permets d’attirer votre attention aujourd’hui, car la lecture de cette chronique va être un peu plus longue que d’habitude… Alors, calez-vous dans votre fauteuil, prévoyez vos lunettes de vue à portée de main, si nécessaire, un coussin mœlleux pour vos cervicales, une tasse de thé fumante ou une infusion odorante pour vous détendre et vous tenir compagnie…Du thym (de la farigoule), du romarin, provenant des collines ardéchoises nécessairement…Ou bien alors, emportez votre lecture, réservez votre week-end à la Villa Elisa à AUBENAS, et là, libéré(e) de vos contraintes quotidiennes, vous décompresserez et profiterez d’un break au calme où vous serez chouchouté….
Mais si vous préférez lire au bureau, à votre travail, soyez prudent(e)s tout de même…. Un incident diplomatique est si vite arrivé….
Voici le printemps et avec lui, nous abordons aujourd’hui, le thème incontournable de la sériciculture ardéchoise.
Oui, nous arrivons bientôt au dimanche de RAMEAUX de l’année 1954 et c’est aujourd’hui que Mamet Péroline, de Joyeuse, m’a confiée, à la criquete (au lever) du jour :
- « Ce matin, je suis excitée comme une puce qui aurait rencontré un ouistiti….c’est le grand jour, je vais faire bénir la graine….. tu sais celle que j’ai acheté chez Mr. Auzas, à Lachapelle sous Aubenas…il est gentil le bougre, je lui en ai demandé une once (40.000 oeufs environ) et, et comme l’an dernier, il m’a mis « l’espeçus » (une pincée de plus)…. Je veux que ma graine (mes œufs) ait toutes les chances de bien éclore et de me donner des milliers de bombyx mori (vers à soie)…le curé l’a bénira donc tout à l’heure… »
- « Et tu vas faire « espélir » (couver) Péroline » ?
- « Je la mettrai dans son sachet de gaze, puis ce nouet (ce sac) de toile fine bien au chaud entre mes deux gros seins blancs mais pour quelle démarre (éclose) seulement… ensuite, je la placerai dans les tiroirs de « l’espélidou »…. (Ancêtre du radiateur) la tubulure, en fer, est creuse, je verserai de l’eau à l’intérieur et, je chaufferai par-dessous, à l’aide d’une lampe à huile, d’un degré tous les jours pour atteindre les 24 degrés nécessaires….comme les années précédentes… tu comprends Margotte « ?
- « Té pardi, sûrement que je comprends…Mais dis moi si tes « péquelets » (enfants) ont de la fièvre, qu’ils doivent garder le lit tu mettras tes « magnans » (vers à soie)) dans le lit avec eux…sous l’édredon (la couette) afin de ne rien « gaspiller » de ce que la nature te donne… » ?.
- « Voilà, t’as la « comprenette » facile qu’é pour une fille de la ville…»…. Ensuite, bèh, comme le temps est doux, les mûriers bourgeonnent déjà.... j’aurai donc de la feuille tendre à leur donner à manger tous les jours….puis trois fois par jour dès qu’ils seront devenus bien gras et dodus….Au début, je leur hacherai la feuille bien menue, pour qu’ils puissent la grignoter avec plus de facilité. Les « magnans » les plus chétifs, les plus malingres, les plus fragiles, je les mettrai à part, je les éduquerai à l’écart des autres…. Mais tu sais, je ne ferai pas comme l’an dernier, les femmes qui auront leurs « ragnagnas » (règles menstruelles) ne rentreront pas dans ma magnanerie, celles qui seront maladives, fiévreuses, toussotant, ou porteuses de virus bizarres non plus sans oublier les jeteuses de mauvais sorts…. Et mon homme restera dehors quand il amènera les sacs de jute rempli de feuille de mûrier….comme tous les hommes ! L’élevage des vers à soie c’est un travail de femmes….. Pour eux, les « magnans » ne sont que des asticots bons à donner à manger au cochon….Mais quand je ramène à la maison les royalties de mon élevage, la litanie n’est plus la même, qué…. »
- « Mais as-tu bien préparé ta magnanerie au moins…..l’as-tu bien désinfectée… » ?
- « Mais oui grosse nigaude, j’ai brûlé des branches de bruyères dans les quatre petites chemines d’angles de la magnanerie et le « taulier » (table en provençal) est prêt….
Mon homme m’a aidée hier à débarrasser tout le foin qui restait des dernières fenaisons car cette pièce, elle nous sert de magnanerie au printemps et ensuite, on l’utilise comme fenil…on ne laisse pas une grande pièce inutilisée pendant de longs mois…tu penses bien… !
Dans une dizaine de jours, ils vont éclorent, ressembler à des têtes d’épingles toute noire… je les déliterais souvent, surtout au début (changer de litière) car je ne veux pas qu’ils attrapent des maladies…. »
- « Dans ton élevage, non je veux dire ton « éducation », as-tu déjà eu des maladies…. » ?
- « Eh bé sûr ! Tu as raison Margotte de dire éducation car cela en est vraiment une : je dois les bichonner, les dorloter, les aimer, les protéger, ne pas les traiter comme de vulgaires asticots, comme de piteuses chevilles, ce n’est pas un élevage c’est en effet une éducation….hum…c’est surtout notre gagne pain… Il faut que j’ai moi-même le cœur capitonnée de soie…..Il faut que, pendant 21 jours, ils me donnent la plus grosse production de cocons de soie de toute la cité…. Cette année, on doit marier ma cadette alors les « magnans » (prononcer magnaous qui veut dire manger en occitan) il faut qu’il donnent de gros cocons….qui nous donneront de gros sous…. Cela va faire un apport d’argent frais qui va rentrer dans l’escarcelle dès que la vente sera permise… On doit aussi « pétasser » (raccommoder) l’estaou (la maison)….et mon homme veut changer son tracteur…. Quand aux maladies, je prie Notre Dame de Bon Secours, à la basilique de Lablachère, je fais des neuvaines, pour qu’ils n’attrapent pas la « pébrine » (vient du provençal poivre) ils deviennent tout gris, se recouvrent de tous minuscules points, semblables à ceux des grains de poivre, d’où le nom. Une maladie, très contagieuse, qui a déjà provoquée de grandes crises économiques dans tout le Midi de la France et donc de l’Ardesco…. Les vers ne mangent plus et c’est comme nous….quand on mange plus….on crève ! Il y a d’autres maladies hélas : la gâtine, la muscardine, la flacherie, la grasserie….malgré leurs jolis noms, bien charmants, elles font partie du chapelet des affections tant redoutées par tous les sériciculteurs. Heureusement, en 1869, les travaux et recherches de Pasteur, venu du 4 au 8 Mai 1882 à AUBENAS, ont permis de sélectionner la graine et par là même de réduire certaines de ces maladies….Mais le plus grand fléau… ce sont les sicounes… Je te le dis en chuchotant Margotte, car je ne voudrais pas qu’elles m’entendent, ces « garces » et qu’elles repèrent mes petits… »
- « Les sicounes Péroline…….mais « qu’es aco » ? »
« Ah ma pauvre Margotte, il te faut en apprendre encore sur le chapitre de la sériciculture…. Tu n’arrives pas à la cheville d’Olivier DE SERRES, ingénieur agronome, et non ingénieur à Grenoble, natif de Villeneuve de Berg, notre père à tous, qui sous le règne de Henri IV fit implanter tant de mûriers le long des routes….. Lui, au moins, il avait tout compris des besoins des paysans… Je te parlai donc des sicounes….chut….écoute….je veux bien te le dire mais dans le creux de ton oreille : ce sont de minuscules fourmis rouges qui grimpent la nuit le long des pieds du taulier et qui bouffent goulûment tous mes vers…. Une année, on a perdu toute la production…un vrai malheur s’est abattu sur moi et toute la maisonnée….en une seule nuit que je te dis….. ! Je n’avais plus assez de mouchoirs en finette (tissu en coton très fin) pour essuyer mes yeux qui pleuraient tout le temps….Depuis, on place des bassines d’huile de vidange aux pieds du taulier pour que ces bestiolines tombent dedans et n’escaladent pas les montants des tables… D’ailleurs, vaï…. ce n’est pas pour rien que ce mot de sicoune est encore employé aujourd’hui dans le langage courant… On dit bien de Mme Bernard et de Mme Dupont et aussi de Mme Durand que ce sont de vraies sicounes….tellement elles sont méchantes et mauvaises….mais ne le répète pas, hein, Margotte, ou alors seulement à Mme. Trumuche, tu sais la rastaquouère, qui ne peut pas les encadrer… ».
- « Bon, mais pour les souris et les rats qui mangent aussi les vers, comment vas-tu faire…. » ?
- « Comme les années précédentes, j’enfermerai mon chat Mistigri, dans la magnanerie la nuit…Il montera la garde vaï…. »
- « Eh bé, quels soucis pendant tout le cycle des vers à soie, c’est une véritable révolution dans ton habitation… tu ne vis plus que pour tes « magnans »…. »
- « Tu sais Margotte, chaque fois que je bois une infusion, j’ai une pensée émue pour cette princesse chinoise Si-Ling-Ching, qui buvait son thé sous un arbre, dans son grand parc, quand, il y a 26 siècles, « quelque chose » est tombé dans sa tasse de porcelaine… ». C’était un cocon de soie….elle a tiré le fil et c’est ainsi qu’on a découvert la soie sauvage… »
- « Mouais….mais la prospérité de la sériciculture française, on la doit surtout à ce moine qui cachât de la graine (des œufs du Bombyx Mori) dans son bâton de pèlerin et l’introduisit en Europe…. Sans lui, fan des chichourles, on « boufferait » des pois chiches matin, midi et soir…. »
21 jours sont passés…. Péroline a nourri ses vers matin, midi et soir, déliter souvent afin d’éviter les mauvaises odeurs, les souillures et par voie de conséquence les maladies… Après trois mues, au cours desquelles, les vers à soie ont changé de peau, ils commencent à monter, enfin aux bruyères….afin de confectionner leur cocon…. Péroline, est aux anges, et, avec sa verve imagée, me le raconte…..
- « Ca y est Margotte, ils montent aux branches des bruyères, que mon homme avait installé au début de l’élevage, en arc de cercle sur les étagères du taulier…. Dimanche prochain, nous pourrons « décoconner » (enlever les cocons des bruyères) C’est toujours un jour de grande joie, le jour de la récolte, un jour de soulagement surtout…. Ensuite, quand les sacs de jute seront bien remplis, je les porterai à Aubenas, sur la place des cocons, près de la « glaise » (église) où ils seront pesés puis emportés à Lyon où ils subiront quantités d’autres opérations avant de devenir une belle soie cévenole…
- « Te fais pas de bile ma Péroline, je viendrais t’aider pour décoconner, car il faut faire vite, ne pas attendre que le ver, qui s’est enfermé dans son cercueil de soie, ne se transforme en chrysalide puis en papillon… Il percerait alors le cocon pour s’envoler et patrata…les fils de soie ne seraient pas cassés, mais la soie serait souillée, les cocons tachés et ils n’auraient plus la même valeur….
- « Boudiou Margotte, quand je pense, hélas, que c’est la dernière année que je fais cet l’élevage… »
- « Tu en est sûre ma Péroline » ?
- « Tu vois bien, comme moi, le déclin de la soie cévenole, réputée pourtant dans le monde entier… L’arrivée des nouveaux textiles comme le nylon, la rayonne, la viscose, le polyamide, le polyester et tout le saint-frusquin, toutes ces étoffent modernes qui grattent la peau et donnent des boutons, provoque de l’électricité statique… eh bé, elles nous auront tué…. ! Les femmes aujourd’hui ne mettent plus que de la lingerie en nylon, moins onéreuse ….Peuchère, peut être qu’un jour viendra où elles n’en mettront plus….du tout ! Pourtant cette soie si câline, si chatoyante, si gracieuse, si lumineuse, si élégante, recherchée par tant de reines de France et de Navarre, elle aura fait la gloire de notre département et des soyeux de Lyon…pendant des siècles….quand j’y pense…. !!! »
- « Mais tu pleures Péroline » ?
- « Mais non, je ne pleure pas, mes yeux sont mouillés c’est tout…. Tout a une fin, hélas, dans ce monde en grands chambardements…. J’aurais été la dernière séricicultrice de l’Ardèche méridionale…de cette année 1954…..Pour l’an prochain, qué, mon aînée va, encore, accoucher alors, elle est tellement ronde qu’on dirait qu’elle attend des jumeaux…. à la place des vers à soie, et bien, j’éduquerai….mes petits enfants ! Je ne sais pas trop pourquoi…..mais j’ai comme l’impression que je vais avoir fort à faire….. »
- « Adésias Margotte ! » (Adieu dans le sens : à bientôt)
Voilà, vous savez tout (ou presque) sur la sériciculture ardéchoise, au travers de ce petit condensé authentique…. ! A bientôt à la villa EliSA à AUBENAS… D’ici là, si vous le pouvez, n’oubliez pas de lire l’excellant roman de Roger Ferlet : « De la soie dans les veines » qui a obtenu le grand prix de « La pensée française ». Et Joyeuses Pâques à tous !
Agenda culturel :
8 Avril : Eglise Aubenas Chants du Pèlerin du XIVème siècle musique médiévale dans le cadre du programme de Labeaume en musique.
16 Avril : balade sous la pleine lune à AIZAC.
Le 30 Avril : Fête de la randonnée à AIZAC.
Margotte, votre blogueuse ardéchoise,